Second chapitre extrait du roman Tout ce qui remue et qui vit par Isaac Pante (premier chapitre ici). Tous droits réservés. Attention, contenu explicite. Nicola pour l'image.
Chapitre 2
En temps normal il serait allé voir un médecin, mais pas question de se faire tirer un bilan toxico maintenant. Alcool, cocaïne et un échantillon du prototype de Sildénafil 650. Un putain de mélange, de quoi dormir en tôle.
Non, tout ce qu'il lui fallait, c'était épuiser sa queue un bon coup. S'astiquer dans l'avion était une chose, mais une trique pareille, c'était l'affaire de professionnelles. Et tant pis s’il manquait les première présentations. Pas question de débarquer au colloque dans cet état. Cette fois, ce serait la goutte de trop. Sa main à couper que Reto le virerait.
Il avait donc gagné sa chambre au Grand Hôtel des Bains, passé un appel. Maintenant, il attendait qu’elle sorte de la salle de bains. Et qu'est-ce qu'elle en mettait du temps à se préparer. Il n’avait jamais pris de prostituée à Vals. Il avait plutôt l’habitude des filles d’aéroport, les adeptes du quickie, genre check-in, check-out et merci d’avoir voyagé en notre compagnie. Apparemment, ici, c’était un autre rythme. À moins que ce ne soit elle. T’as encore tiré le bon numéro, se dit-il.
Il écouta longtemps l’eau de la douche. Il posa son verre vide, prit l’écrin Cartier sur la table de nuit, en sortit le collier. Qu’est-ce qu’il faut pas faire pour vendre des médocs, pensa-t-il.
Il rangea le collier, regarda dehors. Les prés verts, les ardoises des chalets vernis de pluie.
Dire qu’hier tu étais en Thaïlande, pensa-t-il. Tu en as fait des bringues, mais celle-là, c’était quelque chose. J’en ai assez vu pour tourner trois ou quatre Emmanuelle de plus. D’ailleurs, la petite d’hier, je la verrais bien en premier rôle, avec un cadrage serré sur son petit pain chaud.
Mais elle serait pas en âge. Pourtant, je suis sûr qu’elle prendrait bien la lumière. Qu’elle la prendrait aussi bien que le reste. Peut-être même mieux. En même temps, je vois pas comment on aurait pu lui donner plus.
D’ailleurs, comment t’as réussi à redresser la tour de Pise après une soirée pareille, faudra encore qu’on me l’explique. Peut-être que c’est quelque chose qu’ils mettent dans les plats. La coriandre ou un truc du genre. Remarque, je m’en fous bien, du moment que j’arrive à me débarrasser de cette crampe.
Il regardait la fente de lumière sous le bois râpé de la porte. En travers, sa verge étirée. Il se dit que les baguettes de sourcier devaient donner cette impression-là quand on les passait au-dessus des points d’eau. Des gens très sérieux se servaient de bâtons pour chercher des puits. Avec apparemment pas mal de réussite. Rapport au champs telluriques, aux énergies et à tout un lot de conneries du genre.
Peut-être que c’est ce que tu devrais faire, pensa-t-il. Avancer dans la rue, la bite à l’air et te laisser guider. À bien y repenser, il se dit qu’il n’avait jamais rien fait d’autre.
La porte s’ouvrit enfin sur son corps pâle. Ses talons la grandissaient et ses sous-vêtements noirs. Elle avait les seins menus mais les hanches larges et, pour tenir ses fesses, un baudrier de dentelle. Les porte-jarretelles lui raccourcissaient les jambes. Du regard, il remonta au treillis noir où les poils de son pubis perçaient, mauvaise herbe dans un verger qu’il aurait voulu glabre. Viens, dit-il.
Elle avança sur le lit, un genou après l’autre, caressa ses jambes, les couvrit à califourchon. Puis elle détacha ses cheveux, déposa ses lunettes sur la table de nuit, le couvrit au passage d’un sein en dentelle. Il essaya de le toucher, mais elle abaissa sa main. Tutut, dit-elle.
Elle pencha la tête, sourit. Ses mains disparurent dans son dos. Trop concentré sur ses seins, il ne les vit pas revenir.
Elle saisit sa verge, le branla doucement. Tu as l’air plus que prêt bébé. Qu’est-ce que tu dirais si on s’y mettait tout de suite?
Il hocha de la tête. Elle sortit un préservatif, le prit dans la bouche, l’aspira comme un chewing gum et le déroula sur la queue toujours à l’équerre. Tu as sacrément faim toi, dit-elle.
Tu ne sais pas à quel point.
Je vais te soulager ça...
Elle s'assit sur lui et glissa peu à peu, comme si elle descendait dans l’eau froide d’un lac de montagne. Quand elle arriva au fond, il la tira par le bras et elle tomba paumes ouvertes sur sa poitrine imberbe. Il avait le torse large, un peu bombé sur la droite, des bras aux veines enfles. Elle flatta l'un et l'autre, commença d’aller et venir. Plus vite, dit-il.
Elle accentua les mouvements du bassin. Il releva la tête pour voir à chaque poussée la naissance de sa verge disparaître dans sa chair. Son dos lui faisait mal, mais il resta quand même à moitié relevé pour profiter du spectacle, prit les fesses qui battaient ses cuisses et s'y agrippa comme aux anses d’un seau. Usé, il se laissa tomber sur le couvre-drap revêche, le souffle coupé par la douleur.
Elle allait et venait et allait et venait de toute ses forces. D'amples mouvements. C'était comme prendre de l'élan sur une balançoire, avec le vent qui vous gifle en descente, l’impression de donner des coups de pied au soleil, les anneaux prêts à lâcher.
Mais les anneaux tenaient. D'habitude, courte ou longue, penchée ou grasse, la verge menaçait de tordre. Là, la bite tenait bon, épousait sa chatte de fond en combles. Ne va pas y prendre du plaisir, pensa-t-elle. C’est là que tu deviens putain. N’oublie pas que tu travailles. Tu ne dois pas oublier ça.
Mais elle l’oublia. Parce que c'était terrible, vraiment terrible. Parce que ça la remplissait de partout, les jambes d'abord, les jambes et le ventre comme prises par la mousson, prises par des bulles, des milliers de bulles qui la fouillaient pour exploser de plus en plus loin.
Quand elle eut fini de crier, elle tira ses cheveux en arrière des mains, rit les yeux clos. Est-ce qu'elle avait déjà vécu ça? Jamais. Pas besoin de se creuser la tête. Un pied pareil, jamais. Même avec des amoureux? Bien sûr, même avec eux. C'était au-delà de ses meilleures baises. Au-delà de tout. Pour un peu, elle aurait allongé les billets.
Elle baissa la tête, vit ses yeux fermés, son front plissé, sa bouche ouverte. Il avait la nuque étirée et la pomme d'Adam saillante, comme si on avait cassé son cou. Toi alors, dit-elle, t'es un sacré numéro, tu le sais ça?
Il ne répondit pas.
Hey Bébé, on dirait que toi aussi t’es parti sacrément loin.
Elle passa sa main sur la peau de son visage. Il était pâle et gras. Un masque de cire qui aurait sué au soleil.
Bébé?
Elle descendit du visage au cœur, mais elle n’arriva pas à le sentir. Elle haletait encore, suait par vagues. Alors elle caressa son torse de haut en bas, s’y englua les doigts. Sur le petit bombé de son ventre d’homme, une traînée rouge. Du sang étiré jusqu’au nombril. Les traces de la balançoire. Oh Mon Dieu, dit-elle, Oh mon Dieu.
Elle le sentait encore dur en elle. Maintenant, c’était comme un pieu. Elle voulut se retirer, mais il n'y avait rien à retirer. Entre les poils du pubis et les testicules bien attachées, plus qu'un cratère noir et filandreux.
Elle recula, tomba du lit. La chambre revint d'un coup: les rideaux tirés, la moquette grise tachée à l'entrée, la table de nuit au bois gras, la valise contre la porte. Elle écarta ses petites lèvres, y enfonça ses doigts, sentit des filaments visqueux. Quand elle essaya de les agripper, elle les sentit s'éloigner. Bientôt, ses doigts ne se refermèrent plus que sur du sang. Elle tremblait. Qu’est-ce qui se passe, dit-elle.
De l’épaule, elle poussa la porte de la salle de bains. Elle avançait courbée, les doigts loin en elle, comme une guenon essayant de se défaire d'une chose vivante. Le néon la projeta dans le miroir. Son visage blanc, luisant de sueur, son visage malade et terne.
Elle entra dans la douche, se rinça à grande eau, continua à se fouiller, rejetant des morceaux de latex et de chair sur l'émail, les jambes striées de sang. Oh mon Dieu, dit-elle. Oh mon Dieu.
Puis elle s’écroula.
Présentation de l'éditeur Dans la petite station thermale de Vals, on croirait presque au déluge. Tandis qu’un congrès de psychanalystes se déroule dans la salle des fêtes du Grand Hôtel des Bains, une étrange épidémie se répand de chambre en chambre et pousse chaque personnage dans les retranchements de sa sexualité. Nul n’en sortira indemne. Tout ce qui remue et qui vit n’est pas un roman à mettre entre toutes les mains. Au croisement de la pornographie et du fantastique, il analyse ouvertement les relations de notre société avec l’intime, dans un style soutenu et cru. Roman disponible au format numérique. |